mardi 29 décembre 2020

SARAH HALIMI Voici ce qu'en pense Nathanaël Majster : -Nous allons évoquer l'affaire Sarah Halimi avec vous, Nathanaël Majster. Je rappelle que vous avez été magistrat et qu’à présent vous êtes avocat à Paris. Pourquoi avez-vous pris l’initiative de cette émission ? La Cour de cassation doit rendre une décision très attendue dans le dossier de Sarah Halimi au cours du premier trimestre 2021. Et donc il est temps de rappeler les enjeux de cette émission qui sont très importants pour la communauté nationale française, qui peuvent se résumer en une seule phrase : la vie d'un juif a-t-elle encore de l'importance en France ? C'est ainsi que se résume cette affaire que je me propose de reprendre avec vous aujourd’hui. L'affaire Sarah Halimi, c'est d'abord une scène qu'il faut s'imaginer. A 4h20 du matin , toute la résidence du 11e arrondissement est à sa fenêtre, entend les hurlements d'une dame, absolument charmante, de 66 ans, que tout le monde connaît, et que tout le monde apprécie dans cette résidence. Elle a été pédiatre. Elle s'est occupée d'une crèche comme directrice. Tout le monde l’apprécie et voilà que tous les voisins sont à leur fenêtre en train d'assister à son massacre, à des actes de torture épouvantables qui vont durer de 15 à 20 minutes , alors qu'elle pousse des cris effrayants avant d'être jetée du balcon par un homme qui l’insulte, qui crie « Allalh Akbar »,, qui cherche à désorienter l'intervention des policiers après avoir essayé de désorienter Sarah Halimi en lui faisant croire qu’elle était cambriolée. Cet homme s'est introduit chez elle en pleine nuit venant du balcon des voisins et va tranquillement, après avoir commis ces actes barbares, retourner chez ses voisins , attendre 50 minutes que les policiers se décident enfin à enfoncer la porte pour venir le chercher alors qu'il se laisse calmement interpeller. Immédiatement se met en place un consensus chez les acteurs de ce dossier et ce consensus, c'est le suivant : Kobili Traoré serait irresponsable et il va s'agir de le démontrer. Il va s'agir de le démontrer à toute force, et ce scénario se met en place pour une raison simple, c'est que, s'il est irresponsable, eh bien il n'y a pas eu de crime,et s’il n' y a pas de crime, cette scène d crime épouvantable, qui souligne une lâcheté générale, lâcheté du voisinage qui assiste impuissant à ce crime, lâcheté de la police qui est déjà sur place et qui n'est pas intervenue, eh bien tout ça n'est pas arrivé.Autrement dit il va s'agir rétroactivement d’effacer son supplice, d’effacer cette scène de crime et ce qui s'est passé cette nuit-là, en déclarant  que ce monsieur est irresponsable, pour le faire échapper aux poursuites. Voilà l'enjeu de cette affaire. -Selon vous en tant qu'avocat même si vous n'êtes pas dans le dossier : Est-ce que Traoré était fou ou pas ? Qu’en disent les experts ? Il y a deux expertises sur le cas de Traoré. La deuxième dit qu'il est schizophrène et c'est celle qui a été retenue par la chambre de l’instruction. Malheureusement on ne trouve aucune trace de schizophrénie dans son passé, aucune trace de schizophrénie pendant la commission de l’acte. Depuis qu'il est hospitalisé il n'a développé aucun des symptômes de schizophrénie. Donc de ce point de vue- là il n'est pas schizophrène. Le plus intéressant c'est la première expertise qui conclut simplement à l'altération de sa personnalité. Comme je vous le disais, dès que l’acte est commis, l'ensemble de la famille et des amis de Kabili Traoré, et c’est relayé complaisamment par les policiers il faut bien le dire, entretiennent une thèse assez spectrale. Depuis plusieurs jours il n'est plus le même, il ne cligne plus des paupières, il est comme possédé, il est marabouté, nous dit la famille, un esprit extérieur a pris possession de lui. Voilà la thèse qui va être servie avec des éléments de langage extrêmement précis et concordants entre tous les intervenants du dossier famille, amis, certains voisins, et que la justice va acheter, valider et que surtout le premier expert psychiatre va reprendre complètement à son compte. En effet, ce que nous explique le premier expert psychiatre, c'est que Kabili Traoré est dans un état d’emprise, qu'il est comme possédé, qu'il agit sous l'emprise d'une force extérieure, qu'il fuit un ennemi imaginaire et qu'il se retrouve chez Sarah Halimi par hasard, qu'il aurait pu tuer n'importe qui, et que c'est parce qu'ils voient des objets de culte juif, une Torah, dit l’expert, et des chandeliers juifs, que ces objets en quelque sorte potentialisent et déclenchent le délire, pour l'amener au passage à l’acte. Autrement dit ce sont les objets de culte qui rend se fou encore plus fou, au point de l'amener à tuer. Et reprenant de vieilles thèses psychiatriques du début du siècle cet expert conclut à un délire (démonologie, , mystique, manichéen...) ,ce sont des mots liés au délire des mystiques chrétiens du début du siècle qui sont transposés à ce type de personne. Et bien sûr quand on demande à l'expert : Etait-il antisémite ? Non pas du tout, là non plus ce sont les éléments d'ambiance sociaux qui infilntent son délire, autrement dit il n'est responsable ni de son passage à l'acte déclenché par des objets de culte juif, ni de son antisémitisme qui a diffusé dans son délire par l'ambiance sociale. Voilà comment la disculpation se met en place - disculpation qui profite à tous les éléments de la chaîne qui étaient présents ce soir-là. Le problème c'est que cette thèse ne tient pas. Elle ne tient pas pour plusieurs raisons. Alors pourquoi justement ? Pour plusieurs raisons. La première c'est que, quand on regarde attentivement le dossier, ces objets de culte, une Thora, des chandeliers n'existent pas. Elle n'avait aucune Torah, elle avait des livres écrits en hébreu. On n’a pas de Tora à la maison. Et je ne pense pas que Kabili Traoré se soit approché de la bibliothèque, se soit emparé d'un ouvrage pour le feuilleter. Et il y a simplement un bougeoir ou deux qui permettent de poser une bougie de shabbat et je ne crois pas la culture religieuse de Kabili Traoré suffisante pour estimer que ce sont des objets de culte juif. Donc cette thèse ne tient pas du tout. Et par ailleurs, il s'avère qu'il arrive chez les voisins avec une paire de chaussures à la main, et pieds nus, et il se change sur place, il se change complètement, sous-vêtements inclus, pour se trouver dans une tenue de Shahid, de Saint, et puis, chez ses voisins, il calme la famille, il leur dit : :Non, non, non , je ne suis pas là pour vous, il dit aux au jeune Soumpo présent sur place : « Calme ton père, il n’y a rien », qu'il se rassure, il va dans le salon ? puis fait sa prière, se change intégralement. -Ce que vous nous dites , c'est qu'il y aurait eu préméditation ? Écoutez, il y a préméditation puisque , si je fais un saut, quand il est arrêté il a une paire de chaussures aux pieds, il n'est pas pieds nus, et pourtant on retrouve dans l'appartement des voisins, une paire de chaussures qu’il aurait laissée et ses vêtements de rechange, mais quand il arrive chez ses voisins, il n'a pas un sac avec lui, les vêtements sont déjà là et la veille, il a fait une sorte de mise en scène, il a emmené les enfants de sa sœur chez les voisins, alors qu'il ne le fait jamais, à garder. Je pense, c'est ma thèse, qu’en faisant ça il a apporté des affaires qui devaient lui servir la nuit d’après, et ce sont ses affaires qu'on a retrouvées sur place, autrement dit, c'est un acte très réfléchi. Il faut rappeler que Sarah Halimi est sa voisine du dessus, il la connaît, il sait parfaitement comment passer dans son appartement, il sait parfaitement qui elle est, il a préparé son acte, à mon sens, en apportant des affaires chez les voisins, il va aller les récupérer la nuit. Et puis ,ensuite, l'exécution des faits est absolument froide et déterminée. Il arrive, il rassure la famille, il fait sa prière, il se change dans sa tenue de Shahid. Il fait certainement des ablutions, il passe le balcon dans des conditions très dangereuses, il y a au moins 90 % du corps qui est dans le vide au moment où il passe le balcon qui est séparé par une très fine barrière de verre. Il est chez Sarah Halimi, il lui dit : « Madame je suis là, parce qu'il y a un cambriolage chez vous rassurez-vous » et il commence à la frapper. Et il la martyrise pendant 15 minutes. Et quand les policiers sont en bas, il dit : «  Une femme tente de se suicider ; »Sous-entendu::  « Pas de risque, je suis là pour la sauver. Autrement dit, il a la lucidité de désorienter la victime, puis de désorienter les secours. Et il insulte au cri de « Allah Akbar », il la massacre, il la torture. Il retourne tranquillement en franchissant le balcon chez les voisins, et il attend de se faire arrêter en faisant ses prières. L'exécution est froide, l'exécution est préparée, l'exécution est maîtrisée, et donc il y a un discord entre le séquençage du crime et la thèse de quelqu'un qui serait habité par une puissance qui le torture et qui irait au hasard errer dans un appartement voisin et qui iserait déclenchée par des objets de culte et parce qu’il avait fumé un petit peu trop de haschisch. Autrement dit une thèse complaisante vis-à-vis de son envoûtement et de sa possession présumée, une thèse complaisante vis-à-vis de son absorption de toxique, et une complaisance qui s'étend à la fois aux voisins, dont l'attitude est critiquable, à la fois aux policiers. Autrement dit une complaisance générale qui s'opère au détriment de Madame Halimi. - De quoi cette affaire est-elle le symbole en France aujourd'hui pour vous Nathanaël Majster et a-t-il bénéficié de complicité ? Vous posez deux questions différentes. Une question très liée au dossier. A-t-il bénéficié de complicité ? C’est une question très difficile et très dangereuse à traiter je ne m'y risquerai pas. Ce que je peux vous dire , Lise , simplement là-dessus, c'est que le témoignage des voisins démarre sur une base de séquestration. Lorsqu'ils appellent la police ils disent : « Un homme est entré chez nous que nous ne connaissons pas et nous a enfermés, nous ne pouvons pas sortir. » Autrement dit la police croit qu'une famille est enfermée dans sa chambre et perd de nombreuses minutes à comprendre qu'en fait il n'est pas là pour séquestrer cette famille, mais qu'Il est passé dans un appartement voisin et que c'est là qu'il a commis son forfait. Autrement dit, la police elle-même est désorientée par cet appel au secours des voisins. Mais la difficulté ,c'est que , dès que Kobili Traoré est interpellé, il n'est plus question de «Il nous a enfermés », il est question de « Nous nous sommes réfugiés dans la chambre » et puis « On a mis un buffet devant la porte » et puis « Il a essayé d'entrer en donnant des coups d'épaule ». Mais il y a une deuxième version « On a mis quelques meubles devant la porte mais non il n'a pas essayé d'entrer» Et puis il y a une troisième version d'un autre enfant « Nous nous sommes nous-mêmes enfermés à clef ». Autrement dit , ils ne sont pas d'accord. Et puis ensuite ils prétendent qu'ils n'ont rien entendu, qu'ils n'ont entendu aucun cri, alors que tout le monde est à la fenêtre ; Ce sont des résidences qui sont construites dans les années 60 et malheureusement l’isolation phonique n'est pas terrible. Et puis même ils prétendent qu'ils n'ont pas entendu la police défoncer la porte. Le petit problème de leur version , ce n'est pas seulement leurs contradictions, c'est qu’il y a une voisine dont le témoignage n'a pas du tout été exploité et qui assiste tétanisée à la mort de Sarah Halimi, à son balcon, et qui dit : «  Je vois ce voisin à sa fenêtre – celui qui est censé être séquestré dans une chambre - et qui dit à Kobili « arrête ». : : Autrement dit ce voisin qui prétende être séquestrés dans la chambre, une voisine l’à vu sur son balcon en train de parler à Kabili Traoré. Ce témoignage n'a pas jamais été exploité. : Et puis ensuite l’incohérence de ce que racontent ces voisins sur leurs relations avec Traoré. Ils prétendent ne pas le connaître, ils prétendent avoir des relations distantes avec cette famille. Or , il n'en est rien : ce sont des familles qui étaient très proches. Ils viennent du même village au Mali. Y a-t-il une complicité ? Je n'en sais rien. Y a-t-il une comédie ? Je n'en sais rien . En tout cas il y a une piste qui aurait pu être un peu plus creusée et on aurait pu être un petit peu moins complaisant avec cette thèse d'une séquestration ,parce que, je le répète, ce dossier est le dossier de la complaisance. Maintenant deuxième question. Quel symbole , pour terminer l'émission là-dessus. Je crois que d'abord il y a une question de justice, il faut rendre justice à cette dame et il faut rendre justice au fait que aujourd'hui lorsque un juif meurt, ça ne doit plus être considéré comme un non-événement, ça n'est pas un fait divers, on doit saisir des services de police compétents, on doit saisir l'inspection générale de la Police Nationale pour savoir si la police a agi correctement, on doit cesser d'expliquer que c’est parce qu’elle avait des objets de culte que le type est devenu fou, il faut rendre justice à cette dame et cesser de considérer que les victimes juives subissent des faits qui ne sont pas criminels qui sont des non-événement. Je crois que l'enjeu il est là. C'est un enjeu de conscience nationale. C'est un enjeu français, ce n'est pas du tout un enjeu communautaire. Il ne s'agit pas d'une victime qui appartient à une communauté , c'est une victime juive et française. Il n'y a pas, pour paraphraser Monsieur Raymond Barre, d’un coté des victimes innocentes et de l’autre coté des victimes juives. Autrement dit, les victimes juives ne sont pas coupables de ce qui leur arrive. Et dans ce dossier, on a véritablement le sentiment que Sarah Halimi est tuée deux fois. Elle est tué par Kobili Traoré, elle est tué ensuite pas le système judiciaire qui l’enterre une deuxième fois. Les réactions qu'on attendrait, c'est justement, que se manifestent des voix françaises et politiques de tous bords, pour dire que c'est une cause qui mérite d’être soutenue.

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