dimanche 29 décembre 2024

Jordan Bardella l’a répété sur tous les tons, avant et après les élections législatives. Pour le président du Rassemblement national (RN), les dizaines de candidat·es ayant tenu des propos racistes ou homophobes sur les réseaux sociaux n’étaient que des « cas isolés », des « brebis galeuses » fort peu représentatives d’un parti qui souhaite se normaliser. « La poignée de candidats que vous mentionnez a été exclue du RN, évidemment », assurait-il sur BFMTV le 18 novembre, après la révélation, dans la presse, des mots haineux et complotistes de plusieurs député·es du groupe RN à l’Assemblée nationale. Au mois de juillet, après l’entrée de 125 élu·es au Palais-Bourbon, le parti d’extrême droite s’est retrouvé face à un autre problème : où trouver les quelques centaines de collaborateurs et collaboratrices nécessaires pour épauler les troupes renforcées de Marine Le Pen ? Une équation d’autant plus complexe que le RN a jusqu’alors toujours échoué à mettre en place une réelle formation de ses cadres intermédiaires. Disposant désormais de ressources financières inédites, le parti de Jordan Bardella a multiplié les embauches à l’Assemblée. Pour ce faire, il a cherché un équilibre entre sa volonté de professionnaliser les équipes avec le recrutement de nombreux jeunes diplômé·es issu·es du syndicat étudiant la Cocarde et le besoin de récompenser des militant·es locaux impliqués dans la campagne. « C’est assez nouveau pour le RN d’avoir cette manne financière, explique Safia Dahani, docteure en science politique et spécialiste du RN. C’est une manière de fidéliser par la rétribution matérielle, ça permet de récompenser des anciens membres du parti, des gens qui ont longtemps milité bénévolement ou qui ont été candidats à plusieurs reprises sans succès. » Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 © Illustration Justine Vernier / Mediapart Afin d’éviter de répéter le fiasco de l’été, avec l’exhumation en série de comptes douteux sur les réseaux sociaux, la direction du groupe RN a, selon La Lettre, fait passer aux assistant·es parlementaires la consigne de signaler à leur hiérarchie « leurs éventuels anciens tweets problématiques, photos compromettantes sur les réseaux sociaux ou engagements trop radicaux ». Comme l’a constaté Mediapart en se penchant sur le profil des collaborateurs et collaboratrices des député·es RN, beaucoup ont d’ailleurs nettoyé leurs comptes sur les réseaux sociaux, voire les ont tout bonnement supprimés pour en recréer d’autres, vierges de tout historique. Mais tous et toutes n’ont pas eu cette prudence. De multiples profils problématiques encore en poste Le site Les Jours a ainsi exhumé des dizaines de publications haineuses publiées sur le réseau social X par Nicolas Koutseff, qui travaille aux côtés de la députée RN et porte-parole du groupe Laure Lavalette depuis 2023. Pendant des années, ce conseiller municipal de Toulon (Var) a déversé sur son compte un torrent d’injures, traitant ses interlocuteurs de « pute », de « fils de pute » ou d’« enculé ». L’élu a aussi multiplié les propos xénophobes, antisémites, sexistes ou homophobes, comparant le Val-de-Marne à l’Afrique ou s’indignant du renforcement de l’enseignement de la Shoah au détriment du « génocide » vendéen. Interrogée par Les Jours, Laure Lavalette a condamné les propos de son collaborateur – qu’elle a affirmé découvrir – avant de licencier l’intéressé le lendemain. « Outre la vulgarité, ses propos sont indéfendables », a-t-elle ajouté dans les colonnes de Var-Matin, tandis que Nicolas Koutseff expliquait être « un mec bipolaire » qui ne se rendait pas compte de la violence de ses propos. Ce limogeage médiatisé n’a rien réglé au fond du problème. Plusieurs assistant·es aux déclarations problématiques sont en effet toujours en poste. C’est le cas d’Angelo Heilig qui travaille encore pour le député RN Alexandre Loubet et reste conseiller spécial de Jordan Bardella, malgré la révélation de dizaines de publications injurieuses ou racistes sur son compte X. Le jeune homme y évoquait notamment la « civilisation de race blanche », plaisantait sur les chambres à gaz, multipliait les saillies sexistes et comparait Emmanuel Macron à un « vrai chien » qu’il invitait à « se faire enculer ». Interrogé sur le sujet, Alexandre Loubet s’est contenté de balayer des « erreurs de jeunesse », ajoutant qu’il ne voyait « pas vraiment le problème » des propos de son collaborateur puisqu’« il n’y a rien qui relève du pénal ». Angelo Heilig a quant à lui simplement passé son compte X en privé, après avoir évoqué de simples blagues de « mauvais goût et maladroit[e]s » et assuré « regretter » certains de ses posts. Un royaliste opposé au blasphème Catholique traditionaliste, royaliste et animateur d’une émission sur Radio Courtoisie, Luc Le Garsmeur a quant à lui été embauché en 2022 par le député Christophe Bentz. Farouche opposant au blasphème, il avait publié ce texte sur Facebook, après la tentative d’assassinat de l’écrivain Salman Rushdie : « Soit Dieu existe et Il est craint, voire aimable. Soit Dieu n’existe pas et il est inattaquable. Les blasphémateurs sont évidemment croyants (comme l’est aussi Satan) et leurs actes sont contraires à la laïcité qu’ils disent appeler de leurs vœux. » Après l’assassinat de Samuel Paty, il avait aussi jugé qu’« il n’est pas convenable de montrer des dessins orduriers à des mineurs, en particulier en détournant par là une mission d’enseignement ». Pour Luc Le Garsmeur, partisan du retour de Louis de Bourbon sur le trône français, la République n’est qu’« un régime restauré sans vote en 1944 ». « Le blasphème a été légalisé, comme l’ont été l’adultère et l’homosexualité, comme le sera la toxicomanie cannabique, regrettait-il encore sur X. Une chose légale n’est pas nécessairement morale. » Ses comptes sur les réseaux sociaux ont tous été supprimés après la révélation de ces propos par L’Express et Les Jours. Contacté par Mediapart, Luc Le Garsmeur n’a pas donné suite. Le député Christophe Bentz a quant à lui affirmé que le départ de son collaborateur était déjà « acté il y a plusieurs semaines », quand bien même son nom apparaît toujours sur le site de l’Assemblée nationale. En revanche, l’élu RN n’a pas souhaité préciser si ce départ était lié aux prises de position de son assistant sur les réseaux sociaux. Anne Biscos était, elle, responsable du RN dans le Puy-de-Dôme, avant de devenir l’assistante parlementaire de Bénédicte Auzanot. Sur ses comptes, elle jouait à plein son rôle pour tenter de recruter de nouvelles et nouveaux adhérents : « Rejoignez-nous, et agissons ensemble contre l’invasion », écrivait-elle par exemple en 2019. En 2018, l’ancienne candidate aux municipales de Clermont-Ferrand y assumait aussi son soutien « de tout cœur », au nom des militant·es du RN de son département, au Bastion social, groupe néofasciste qui s’était installé dans le coin. Accusée d’appeler à la haine, aux discriminations et aux actions violentes, l’association a finalement était dissoute en 2019. Ce qui n’a pas empêché Anne Biscos d’en remettre une couche un an plus tard, dans les colonnes du journal La Montagne : « L’animosité contre cette association a été provoquée et je proscris toutes les violences qui ont eu lieu. Mais la violence appelle la violence », affirmait-elle alors. La collaboratrice de Bénédicte Auzanot s’est également réjouie du massacre de Sétif par l’armée française en Algérie en 1945, réagissant à la demande du père de l’auteur de l’attentat de Noël à Strasbourg en 2019 de rapatrier le corps de son fils : « Nous les monstres, on les élimine #setifalgérie », tweetait-elle, après un premier message on ne peut plus raciste : « Rapatriement : coût 2 500 €, collecte assurée par les imams, ça tombe bien, les primes de Noël de la CAF viennent d’être versées. » Pour Andréa Orabona, le suppléant et assistant parlementaire du député RN Lionel Tivoli, c’est son activité sur Facebook qui interroge. Cet ancien militant du syndicat étudiant UNI a par exemple « liké » un « hommage au maréchal Pétain » ou encore la page du « Front des patriotes », qui célèbre le suprémacisme blanc, avant d’effacer ses pouces en l’air. « Je connais très bien mon attaché parlementaire et son combat contre l’antisémitisme », se contente de répondre Lionel Tivoli aux questions de Mediapart. Peu étonnée par cette accumulation d’activités et de propos problématiques sur les réseaux, la chercheuse Safia Dahani rappelle une évidence : aucun fait étayé ne permet d’affirmer que le parti d’extrême droite se serait « dédiabolisé » au fil des années. « Il faut questionner qui a décrété qu’il y avait un processus de normalisation. C’est le parti lui-même, rappelle-t-elle. Il n’y a jamais eu de données empiriques pour montrer que tout ce qui était constitutif de l’ancien FN se serait évaporé avec la présidence de Marine Le Pen ou le changement de nom. » Des propos homophobes… contre des élus RN Dans des échanges privés révélés en 2023 par Marianne, Rania Elias, une membre du RN, se plaignait du « racisme » des dirigeant·es de son parti. Mais ses propres SMS regorgeaient aussi d’homophobie, comme lorsqu’elle qualifiait le député Sébastien Chenu de « PD de merde », parlait de « tarlouzes » ou écrivait encore : « C’est des enculés, tous, je ne fais aucune confiance à des gens comme ça. » Marine Le Pen en prenait également pour son grade : « Elle est conne et nulle à chier, manipulée par des PD de merde. » Et pourtant, Rania Elias continue de travailler pour le RN, en qualité d’assistante parlementaire de la députée Anaïs Sabatini. Son collègue Thomas Ménagé, élu à l’Assemblée depuis 2022, sait lui aussi bien s’entourer. Son collaborateur Anthony Zeller, épinglé par Libération pour avoir écrit en 2022 « C’est où ? En Afrique ? » sous une photo de Mathilde Panot entourée de personnes racisé·es (aujourd’hui supprimé), est toujours en poste. Interrogé par Mediapart, le député dit avoir découvert ces propos a posteriori, mais plaide le « droit à l’erreur » : « C’était un tweet antérieur à toute prise de fonction au sein du Rassemblement national pour lequel il s’était excusé. Je considère que c’est un peu le droit à l’erreur et le droit à une seconde chance, comme tout Français, et comme toute personne qui fait une bêtise. » Questionné par Mediapart, Anthony Zeller « regrette » lui-même « une plaisanterie de très mauvais goût ». Mais il rappelle l’ancienneté de son adhésion au RN : « Je suis encarté depuis 2012 », bien avant donc la publication du post précédemment cité. Thomas Pamart, lui, a bien tenté de dissimuler son identité, sans grand succès. L’assistant parlementaire du député Antoine Golliot s’était nommé « Schwarze Sonne » (« soleil noir » en allemand) sur les réseaux sociaux, un symbole de la mythologie nordique, utilisé par les nazis. « C’est une référence à un groupe de metal allemand, E Nominé, dont une de leurs chansons s’appelle Schwarze Sonne. Pour moi, il n’y a rien de raciste », s’était défendu l’intéressé au mois de juin, pendant un conseil municipal de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) raconté par La Voix du Nord.

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