jeudi 19 septembre 2019


JEAN- MARIE BROHM

Cent fois, dans ma vie, j'ai pensé : « Encore les méfaits du sport ».Je l'ai dit parfois, devant mes proches, plus rarement à mes amis. Craignant un mauvais jugement. Ces mots auraient mérité quelques développements, quelques arguments , quelques pages, et, pourquoi pas un livre. Il n'y a pas eu de livre.
Je lis qu'un penseur nommé Jean-Marie Brohm a notamment écrit les livres suivants :
« Critiques du sport » , « Les meutes sportives », « Le football, une peste émotionnelle.La barbarie des stades », « La tyrannnie sportive. Théorie critique d'un opium du peuple »...
Ces titres me ravissent. N'achetant plus de livres, ne les trouvant pas dans ma bibliothèque municipale et ne pouvant les lire sur Gallica (pas assez anciens), je ne les lirai pas,
hélas. Je suis certain qu'ils m'auraient intéressé.

En faisant des recherches, je parviens à lire quelques alinéas de cet auteur, qui je l'espère, donneront envie d'en lire plus à quelques personnes (peu nombreuses, je pense) :
« La saturation de l’espace public par le spectacle sportif atteint aujourd’hui des proportions démesurées. Contenu idéologique dominant, souvent exclusif même, des grands médias, des commentaires politiques, des ragots journalistiques, des conversations quotidiennes (y compris chez les intellectuels dits de gauche), le spectacle sportif apparaît comme une propagande ininterrompue pour la brutalité, l’abrutissement, la vulgarité, la régression intellectuelle et pour finir l’infantilisation des « foules solitaires » pour paraphraser l’ouvrage classique de David Riesman [1].
Que l’équipe de France de rugby soit reléguée à une piteuse dernière place dans le Tournoi des six nations 2013 ou que l’équipe de France de football soit battue par l’Allemagne en « match amical », en présence d’Angela Merkel et de François Hollande, à chaque fois se déchaîne la machine à décerveler les consciences. Qu’en retour l’équipe d’Espagne s’impose face à la France et ce sont les multimillionnaires madrilènes et barcelonais du crampon qui sont félicités pour leur contribution au renforcement du « moral de la nation » par les dirigeants espagnols, ceux-là même qui ont amené leur pays au bord de la banqueroute ! On pourrait multiplier à l’envi les exemples du rôle que jouent les grandes compétitions sportives dans la manipulation des esprits, et ceci dans tous les pays du monde où elles ont colonisé la vie publique et privée des individus intoxiqués par l’opium sportif [2]. Selon les résultats d’un match de foot ou d’une compétition (le Vendée globe, Roland Garros, les Jeux olympiques), on assiste soit à une exaltation mégalomaniaque en cas de victoire, surtout si elle est « historique » ou « inespérée », soit à une dépression mélancolique en cas de défaite, en particulier quand il s’agit  d’une « raclée humiliante » ou d’une « déculottée ». Comme l’a souligné Umberto Eco, l’un des rares intellectuels à n’avoir pas succombé aux charmes vénéneux du bavardage sportif, ce cortège de commentaires sur les commentaires – qui mobilisent totalement les piliers de bars sportifs, les rédactions des médias et in fine tous les zélateurs de la « culture sportive » – « devient l’ersatz du discours politique et à tel point qu’il devient lui-même le discours politique », un discours « qui se présente sous les fausses apparences du discours sur la cité et sur ses finalités », un discours en somme de diversion et de mystification. Il n’est dès lors pas étonnant que le sport devienne « instrumentum regni, ce que d’ailleurs il n’a pas cessé d’être au cours des siècles. C’est évident : les circenses canalisent les énergies incontrôlables de la foule » [3].
Dans une période de crise économique majeure où le chômage atteint des records en Europe la première mystification que favorise le sport-spectacle capitaliste est celle qui amène les classes populaires frappées par la paupérisation et la précarisation à s’identifier à des mercenaires multimillionnaires : David Beckham (PSG) : 36 millions d’euros annuels ; Ronaldo (Real Madrid), 30 millions ; Samuel Eto’o (Anzi Makachkala – Russie) : 20 millions ; Lionel Messi (Barcelone) : 16 millions ; Zlatan Ibrahimovic (PSG) : 14 millions ; Wayne Rooney (Manchester United) : 13, 8 millions ; Yaya Touré (Manchester City) : 13 millions, etc. Le football « populaire » et « familial » célébré par les idéologues sportifs n’est donc que le théâtre de l’illusion et de l’enfumage. En faisant rêver des millions de personnes sur les voitures de sport des « génies » du dribble et de la « passe décisive », sur leurs salaires mirobolants, leurs tatouages, leurs looks, leurs coiffures branchées, leurs frasques nocturnes tarifées, la misérable storytelling footballistique contribue de manière massive à la lobotomisation qui gagne toute la société du spectacle. L’entreprise de déréalisation, d’évasion, de diversion des « merveilleuses histoires du football » ne peut avoir que des effets de dépolitisation, de détournement idéologique, de paupérisation culturelle au profit de l’ordre établi. La « passion » des sports où se déchaînent les « vibrations » de meutes [4] hystériques (olas, chants guerriers, bras et doigts d’honneur [5], trépignements furieux, hurlements vengeurs, appels au lynch, etc.) entraîne non seulement la régression émotionnelle et la fascination pour des spectacles futiles et dérisoires, sinon sanglants et dégradants, mais aussi la polarisation hostile des « commandos sportifs » (PSG contre OM…). Le sport qui est de nos jours la principale marchandise de l’industrie de l’amusement est donc une véritable économie politique de la crétinisation des masses.« On a gagné » hurlent les cerveaux reptiliens en brandissant banderoles ultras, calicots débiles et canettes de bière. La « culture foot » de la délinquance en somme…
L’autre mystification, encore plus scandaleuse, est celle qui laisse croire que le sport est un facteur de « citoyenneté », de « rapprochement », de concorde civile. Or, les affrontements sportifs, surtout en football, dopés par les enjeux financiers extravagants et exacerbés par les rivalités nationales ou régionales, débouchent de plus en plus fréquemment sur de graves actes de violences sur les terrains (injures racistes, agressions délibérées, blessures) et sur des débordements criminels dans les gradins et autour des stades. Il suffit de suivre attentivement la chronique des incidents, échauffourées, bagarres, provocations, émeutes liés au football pour comprendre qu’il ne s’agit plus d’un « jeu », mais bel et bien d’une forme de guerre civile ou de haine militante. Voici un petit échantillon récent des exploits qui assurent la « paix des stades » [6].
Comme prévu, avant le match Pologne-Russie, des supporters se sont affrontés. Ensuite, ce fut l’escalade, avec 10 blessés et 130 interpellations à la clé. Cet affrontement n’est pas le premier de la compétition et ne sera pas le dernier. Les Ukrainiens, les Polonais, les Croates se sont déjà bastonnés entre eux ou contre la police. Ces actes de violence, même s’ils sont dénoncés par l’UEFA et les médias comme étant des gestes contre le football, sont assez logiques et prévisibles. Celui qui fait le surpris est hypocrite. Pour le match entre la Pologne et la Russie, les antagonismes historiques entre les deux nations expliquent en partie ces violences » (Slate.fr, 13 juin 2012).

Chants racistes de supporteurs croates lors de la rencontre Italie-Croatie (1-1) le jeudi 14 juin [Euro 2012]. Certains fans ont eu une manière bien étrange d’encourager leur équipe en imitant des cris de singe en direction de Balotelli, attaquant italien dont les parents sont Ghanéens, comme des Espagnols l’avaient déjà fait lors du premier match. Un geste très “à la mode“ ces derniers temps lui a également été adressé : un jet de peau de banane. […] Le même jour, des hooligans russes ont attaqué à coups de poings et de pieds les bénévoles du service d’ordre dans le stade de Wroclaw. Cette fois-ci, personne ne peut réfuter les faits puisque les images ont été diffusées par la télévision » (Francesoir.fr, 16 juin 2012).
 - « Plus de 800 personnes ont été interpellées dans et aux abords des stades lors de la saison 2011-2012 du Championnat de France de football professionnel, a-t-on appris jeudi auprès de la division nationale anti-hooliganisme de la police. Au total, 839 interpellations ont été effectuées. Bien que majoritaires, les interpellations dans le cadre du championnat de Ligue 1 (718) ont été moins nombreuses que durant la saison précédente, alors qu’une augmentation de “près de 37,5%” a été constatée en Ligue 2 (121), a précisé à l’AFP le commissaire Antoine Boutonnet, le chef de la division nationale. Sur les 718 interpellations en Ligue 1, 597 ont eu lieu dans les stades, 264 aux abords, et, en Ligue 2, 90 des 121 personnes interpellées l’ont été dans les stades et 31 aux abords » (La Charente Libre, 13 juillet 2012).
  - « La police de la ville de Rio (Brésil) a annoncé que les “violents affrontements” entre supporters des clubs rivaux, Vasco et  Flamengo (1-0), ont fait un mort et sept blessés dimanche à Rio de Janeiro, avant le match disputé dimanche soir comptant pour la 18e journée du championnat brésilien. “Tomas Coelho a été abattu lors d’une bagarre impliquant plus de 50 supporters des clubs de Vasco Gama et de Flamengo”, a indiqué un communiqué de la police » (AFP, 21 août 2012).
- « Le hooliganisme gangrène les stades néerlandais. Lors de la dernière saison de football, 908 personnes suspectées d’hooliganisme ont été arrêtées dans et autour des stades néerlandais. Il s’agit d’une augmentation de 40 % par rapport à la saison 2010-2011, a indiqué mardi la CIV, la Centrale d’information sur le hooliganisme dans le football, lors de la présentation de son rapport annuel » (rtbfsport.be, 4 septembre 2012).
- « La Côte d’Ivoire s’est qualifiée pour la Coupe d’Afrique des Nations 2013 dans l’anarchie samedi soir à Dakar face au Sénégal (2-0, 4-2 au match aller). Les supporters sénégalais n’ont pas supporté de voir leur équipe quasiment éliminée après le deuxième but inscrit par Didier Drogba à vingt minutes de la fin de la rencontre. Certains se sont mis à brûler des drapeaux et à lancer des projectiles sur la pelouse, provoquant des mouvements de foule importants et obligeant l’arbitre à interrompre définitivement la rencontre après avoir dans un premier temps regroupé les joueurs dans le rond central. Les forces de l’ordre sont alors intervenues pour disperser les supporters sénégalais furieux à coups de gaz lacrymogènes » (20 minutes, 14 octobre 2012).
- « Une bagarre a éclaté entre les joueurs et le staff des deux équipes après le match qui opposait la Serbie et l’Angleterre. Des images d’une rare violence... Les Serbes se sont emportés pendant et après le match contre les jeunes espoirs anglais. Que ce soit les supporters ou les joueurs, ils ne se sont vraiment pas distingués. Une véritable honte ! Il est vrai que le but mis à la toute dernière minute par l’équipe d’Angleterre des moins de 21 ans a échauffé un peu les esprits... Mais déjà pendant le match, les supporters serbes ont lancé des chants et insultes racistes, pour terminer par lancer une foule d’objet sur la pelouse. Puis, ce sont les joueurs qui se sont emportés » (« Violences racistes en Serbie », bluewin.ch, 17 octobre 2012).

- « Le match River Plate - Boca Juniors a été marqué par des scènes de hooliganisme très graves. Cette fois, ce ne sont pas les supporteurs adverses qui ont été la cible des violences, mais des agents de sécurité. Ces derniers ont été lynchés par les supporteurs de Boca pour avoir exulté lors d’un but de River Plate. […] Les supporteurs des “Bleu et Jaune” ont tabassé les agents de sécurité avant d’en jeter certains dans le vide du haut des tribunes » (Gentside.com, 29 octobre 2012).

- « La violence dans le foot fait de nouveau la Une des médias allemands, police et politiciens appelant à l’action contre le hooliganisme alors que des nouvelles propositions destinées à renforcer la sécurité suscitent la controverse. Les images de supporteurs masqués se battant avec les forces de l’ordre ont fait le tour des journaux TV le 20 octobre, lorsque des groupes du Borussia Dortmund et de Schalke 04 se sont affrontés, en marge du derby de la Ruhr, conduisant à 180 arrestations » (AFP, 5 novembre 2012).

- « Un match de football opposant la Syrie au Qatar a tourné hier à l’affrontement politique dans les gradins ainsi que sur les réseaux sociaux. “Nous sommes prêts à sacrifier nos âmes, notre sang pour Bachar”, ont hurlé les supporters syriens arborant des drapeaux de leur pays lors de la rencontre opposant les deux équipes nationales des moins de 19 ans aux Émirats arabes unis dans le cadre d’un tournoi de la Confédération asiatique de football » (lematin.ch, 8 novembre 2012).

  - « Neuf des 27 supporteurs, 6 du PSG et 3 du Dynamo Zagreb, interpellés après des bagarres lundi à Paris à la veille d’une rencontre entre les deux clubs, vont comparaître ce jeudi après-midi devant le tribunal correctionnel de Paris. Les neuf personnes, qui comparaîtront à partir de 13h 30 devant la 23e chambre du tribunal, sont poursuivies pour “participation à un groupement armé” et “participation à un groupement formé en vue de commettre des violences et des dégradations”, a précisé cette source. Les 13 autres doivent être présentées au délégué du procureur de la République en vue d’un rappel à la loi. Les 27 supporteurs avaient été déférés mercredi soir après une garde à vue de 48 heures. Ils avaient été interpellés lundi soir, après qu’une violente bagarre eut éclaté lorsque les supporteurs des deux clubs s’étaient croisés non loin de la Place de la Bastille. Une centaine de supporters croates des Bad Blue Boys avaient en outre été interpellés mardi pour avoir bravé l’interdiction de venir à Paris pour le match Dynamo Zagreb-PSG de mardi soir ».(L’express.fr, 8 novembre 2012).

  - « La finale retour de la Coupe sud-américaine entre Sao Paulo et l’équipe argentine de Tigre a été émaillée de graves incidents à moins de deux ans du Mondial-2014. L’arbitre chilien a définitivement interrompu cette rencontre émaillée d’altercations devant le refus des Argentins de reprendre le match après la pause, durant laquelle ils affirment avoir été menacés par des armes » (Lemonde.fr, 13 décembre 2012).

  - « Le match a dégénéré sur le terrain, mais aussi entre supporteurs en dehors de l’enceinte. Sept personnes ont été légèrement blessées par des jets de projectiles, cinq supporteurs d’Ajaccio et deux de Bastia. [...] Déjà, lors du match aller en octobre (0-0), le derby s’était achevé dans une certaine confusion. Une bagarre entre l’Ajaccien Cavalli et le Bastiais Angoula avait été à l’origine d’une fin de rencontre délétère. Les supporteurs des deux camps s’étaient ensuite affrontés par tribunes interposées avec l’usage d’engins pyrotechniques, jets d’objets et tentatives d’affrontement physique » (« Le football corse plonge dans la violence », Lefigaro.fr, 4 mars 2013).

  Aux amateurs de « beau jeu » on peut encore rappeler le massacre au stade de Port Saïd en Egypte le 1er février 2012, à la suite d’affrontements entre supporters et joueurs des équipes de Al-Masry et de Al-Ahly : 79 morts, 1000 blessés, de nombreuses arrestations… » (Jean-Marie Brohm)






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