dimanche 11 septembre 2022
Enseignement
Le très cher Robert Redeker diffuse sur Facebook ce texte de Philippe Nemo auquel je souscris.
Ayant enseigné le français jusqu'à soixante-cinq ans, j'ai pensé la même chose que lui chaque jour, du premier au dernier. Je n'enseigne plus, mais ma pensée sur ce sujet n'a pas changé.
"« L’Éducation nationale se plaint que de moins en moins de jeunes souhaitent rejoindre ses rangs. On sait qu'elle est obligée d'aller chercher d'urgence au coin des rues des personnes peu qualifiées et de les « former » en quatre jours pour que chaque classe ait au moins un gardien le jour de la rentrée. Quelle est la raison profonde de cette situation plus que regrettable ? Les salaires comptent, bien entendu. Mais ceci n'a jamais été, à soi seul, un obstacle dirimant pour de vraies vocations. Il faut bien comprendre que l’obstacle principal, aujourd'hui, c'est ce à quoi l’Éducation nationale a réduit le métier de Professeur.
Bien que ce ne soit pas dit en ces termes, on s'en doute, les instructions pédagogiques du Ministère ont en effet pour logique profonde et pour effet réel d'interdire aux professeurs d’enseigner les savoirs comme on doit le faire et comme cela s’est toujours fait depuis l’origine de l'école. Elles les détournent de leur vocation en changeant la nature même du métier d'enseignant.
La raison de cette métamorphose imposée au métier est essentiellement politique. La voici.
Il se trouve qu’un enseignement correctement mené crée toujours des effets différenciants. Il révèle que certains élèves ont plus d'aptitudes, d'autres moins, que certains ont des aptitudes en certains domaines, d’autres en d’autres. Ce qui a pour conséquence que, pour que les processus d'enseignement se déroulent normalement et à leur rythme naturel, il faut impérativement que les élèves, le moment venu, puissent être répartis en filières différenciées par niveaux et par orientations. Ce qui implique aussi, sans doute, qu’on distingue un enseignement secondaire long et un enseignement secondaire court, comme le font la plupart des pays voisins. Cette diversification du système est en effet indispensable pour que les groupes d’apprenants soient intellectuellement à peu près homogènes, condition elle-même indispensable pour que le cours fait par un seul professeur devant 30 ou 40 élèves ait un sens et puisse être entendu.
Or la famille idéologique qui monopolise notre Éducation nationale depuis des lustres a toujours obsessionnellement voulu l'école unique, censée être la matrice de l'Homme nouveau. Elle croit (à tort) que c'est en abolissant les différences à l'école qu'on parviendra à abolir les inégalités dans la société. Pour éviter donc que l'enseignement ne crée des différences politiquement incorrectes, elle a trouvé ce moyen simple et expéditif qui est de ne rien enseigner (sérieusement) à personne.
On ne fera, en particulier au collège, que de vagues sensibilisations à cent thèmes divers, des « séquences » sans queue ni tête et autres gadgets pédagogiques seuls de nature, dans des groupes hétérogènes, à ne pas cliver les élèves, à les distraire et à permettre que l’école unique survive tant bien que mal. Chacun connaît aujourd’hui les résultats, en terme de niveau, de ces choix (qui, je le répète, sont exclusivement politiques ; la pédagogie, en tant que telle, n’en porte certes pas la responsabilité).
Dans ce contexte d’école massifiée, que devient l'enseignant ? Il se voit réduit au rôle d’animateur, de meneur de jeux, de gardien, souvent d'assistant social, travail très estimable et utile, le cas échéant, mais qui ne peut convenir qu’à un certain type d’esprits. Il ne peut être ce qu'on appelle un Professeur. Il est en danger, en outre, on le sait, d'être traité comme quantité négligeable par les élèves, les parents, l'administration, quand il n’est pas menacé d’agressions physiques.
Ce qui fournit la réponse à la question posée. Il est facile de comprendre pourquoi, dans ces conditions, moins de jeunes que par le passé souhaitent devenir enseignants. Ils n’ont plus guère d’attirance pour une profession qui n'a plus d’intérêt intellectuel et qui, en corollaire, n’est plus gratifiée du prestige social accompagnant ordinairement les compétences intellectuelles d'un certain niveau. Ils sont peu tentés d’échanger leur projet de consacrer leur vie à des activités intellectuelles et scientifiques contre ce que les officiels de l’Éducation nationale appellent le « métier », mot qui prend, dans leur bouche et sous leur plume, un sens affreux, puisqu’il est délibérément choisi et utilisé pour bien faire entendre aux futurs enseignants que le travail qui leur sera demandé ne sera plus de connaître et de transmettre des savoirs, mais d’être, volens nolens, les agents d’une entreprise de transformation sociale, en contradiction manifeste, soit dit en passant, avec le principe de neutralité de la fonction publique.
L’abandon du professorat a été officialisé cette année par le Ministère, qui a décidé de ne plus demander aux candidats du CAPES que les compétences afférentes au prétendu « métier », c’est-à-dire la pédagogie et la didactique (celles du Ministère), des bribes de connaissance des arcanes de l’Éducation nationale (une culture administrative, donc), le tout agrémenté d’une pincée assez peu sexy de « valeurs de la République ». Tout, donc, plutôt que des compétences proprement académiques. Comme si la première compétence professionnelle d'un professeur n'était pas de connaître les savoirs qu'il enseigne !
On demandait jadis aux jeunes moines de faire vœu d’obéissance, de pauvreté, de chasteté. On exige aujourd’hui des jeunes candidats au professorat des sacrifices presque comparables, mais sans leur ouvrir les mêmes perspectives transcendantes. Bien au contraire, on les somme d’abjurer solennellement tout goût trop marqué pour la littérature, les langues anciennes et modernes, l’histoire, la géographie, les mathématiques, la biologie, la physique ou la philosophie, goûts à la fois inutiles, étant donné le type de pédagogie pratiqué, et suspects d'élitisme, crime majeur. Et on leur enjoint d'aller d’urgence dans des établissements scolaires effectuer des stages pratiques où ils apprendront comment ne rien apprendre à leurs élèves. La vieille École demandait des enseignants épris d’idéal, et cette exigence même séduisait les candidats potentiels ; la nouvelle ne leur demande que de la sueur. Étonnez-vous que les sergents recruteurs s'époumonent en vain.
J’ajoute, ayant un peu lu l’ésotérique littérature des pédagogues officiels, que non seulement l’institution n'a plus envie ni besoin que les enseignants soient des hommes de science, mais craint comme la peste qu’ils le soient. Car, comme l'a écrit jadis un de leurs maîtres à penser, Louis Legrand, s'ils étaient savants, ils voudraient inconsciemment communiquer à leurs élèves ces savoirs qu’ils possèdent, et ils s’impatienteraient des lenteurs et difficultés de certains élèves, qu’ils intimideraient. Cela bloquerait dans l’œuf le processus d'auto-engendrement miraculeux des savoirs que le bric-à-brac pédagogique est censé déclencher. Donc, pour être sûrs que les enseignants ne seront pas tentés, comme dans l'« école de papa », de faire de vrais cours où ils transmettraient patiemment et méthodiquement ce qu’ils savent, les puissants esprits qui dirigent le Ministère ont jugé que le mieux était de s'assurer, dès le départ, qu'ils ne savent rien. Tel est le sens aisément déchiffrable de la réforme du CAPES. Il s’agit, encore et toujours, d’aller dans le sens de l’idéologie. Il s’agit de permettre que l’école reste unique.
Voilà pourquoi votre jeunesse est muette. Voilà pourquoi les jeunes gens épris d'idéal se détournent aujourd’hui des carrières du professorat. Cette désaffection durera aussi longtemps que l'enseignement ne sera pas restauré dans sa vraie vocation et dans ses vraies méthodes."
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire